L’électeur
La République est une bonne princesse, elle estime que les voyages sont capables d’instruire sinon la jeunesse au moins les députés, et, c’est pour cette raison qu’elle procure à nos honorables élus la faculté et l’avantage de voyager à l’oeil.
Voyager a l’oeil, aller, au théâtre avec des billets de faveur, telle est la double ambition de pas mal de Parisiens, qui dans ce but, se donnent souvent un mal qui ne vaut pas le voyage et qui leur revient plus cher qu’au contrôle.
Mais nos députés, eux, réalisent sans peine cette ambition plus où moins légitime.
Si la République, bonne fille, ne leur ouvre pas encore les portes de tous les théâtres, c’est qu’elle ne le peut pas, du moins, met-elle à leur disposition les meilleurs wagon des Compagnies sauf peut-être ceux de l’Etat, qui ne sont pas très sûrs.
On comprend qu’elle tienne à la santé de ses enfants préférés.
Dernièrement, un de nos plus spirituels chroniqueurs prenait place dans un train de luxe pour le Midi : c’était bondé et notre confrère dut se réfugier dans un coin que lui consentirent difficilement sept personnages d’allure imposante et d’un bavardage généreux.
On parlait de la R. P., de l’impôt sur le revenu, des syndicats, que sais-je ! On jonglait avec les rapports et les projets de loi.
Un contrôleur survint qui jeta dans ce tapage le fatidique : « Billets, messieurs, s’il vous plaît. »
Et le premier personnage imposant de répondre :
— Député.
Le contrôleur s’inclina respectueusement. Le second personnage imposant répondit de même :
— Député.
Et le contrôleur s’inclina encore plus respectueusement.
Ainsi de suite jusqu’au septième personnage imposant.
Ils étaient tous députés.
Arrivé devant notre confrère, le contrôleur, qui commençait à en prendre l’habitude, allait simplement renouveler son inclinaison respectueuse. Mais notre confrère tendant le ticket qu’il avait dûment payé de ses deniers, s’écria :
— Electeur.
Le contrôleur, étonné, perfora le billet et s’en, alla non sans une moue de dédain pour ce voyageur insensé qui avait osé payer sa place.
Paris, 1910.
octobre 15, 2017 à 6:38
C’est fort amusant et toujours d’actualité ! Merci Gavroche, bon dimanche 🙂
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octobre 15, 2017 à 6:51
Merci France ! Bonne soirée 🙂
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octobre 15, 2017 à 6:56
trop honnête!
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octobre 15, 2017 à 8:11
Un siècle plus tard, les trains ont changés, pas les passe-droits …
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octobre 16, 2017 à 8:03
Mais oui c’est bien connu, pouvoir et argent vous font faire des économies…
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