Dresde
Tapage nocturne
Un soir, quelques amis du grand pianiste Anton Rubinstein s’étaient réunis dans son salon de l’hôtel Bellevue, à Dresde, pour un souper d’adieux.
Après souper, il était déjà tard, une discussion s’éleva à propos d’un morceau de musique. Rubinstein se mit au piano et joua le morceau. Il s’absorba, comme toujours, dans son exécution et joua un deuxième, puis un troisième morceau du même compositeur en question. A ce moment, un garçon entra timidement. Il remit à Rubinstein un élégant billet rose, que le compositeur ouvrit et lut en riant.
Le billet, sans adresse, était ainsi conçu :
« Je vous prie de ne plus jouer du piano après minuit, et je vous prie au moins de ne pas jouer faux. »
On juge des éclats de rire qui suivirent la lecture de ces mots. Rubinstein prit immédiatement une de ses cartes de visite et écrivit :
« Pardon ! Je ne le ferai plus.
— Anton Rubinstein. »
Il envoya cette carte à sa voisine (car la lettre venait d’une dame qui ignorait le nom illustre de son voisin). Le lendemain matin, la dame partait par le premier train. Elle avait assurément moins de goût que la grosse araignée qui, au cours d’un concert donné par le même Rubinstein, vint, raconte-t-on, se poser sur le piano à queue dont il faisait vibrer les cordes, et ne se retira avec prudence qu’au moment où retentirent les applaudissements.
Peinture de Michail Michailowitsch Jarowoj.
Le club des veuves
On vient de fonder à Dresde, en Saxe, le « Club des veuves ». Savez-vous comment ont été inaugurés les salons de ce club ? Par un bal offert à tous les parents et amis des veuves membres du cercle.
La fête a été d’une gaieté charmante, et on a dansé jusqu’au matin ! Ce fait dément suffisamment la mélancolie traditionnelle des Allemandes en particulier, et celle des veuves en général.
Nous no savons pas si, en se remariant, les dames membres du cercle cesseront de droit d’en faire partie, mais il se pourrait bien que la perspective de pouvoir y entrer aidât les candidates à supporter avec plus de philosophie la perte de leur mari.
« Journal du dimanche. » Paris, 1895.
Illustration : « The Cemetery Club« . Bill Duke, 1993.
Haydn et la trompe
Le célèbre Haydn descendit un jour dans l’auberge d’un village, à quelques lieues de Dresde. Il y rencontra une troupe de bons campagnards qui fêtaient gaîment un jubilé. Ils invitèrent Haydn à partager leur repas, ce qu’il accepta sans se faire prier et avec sa cordialité ordinaire.
Le propriétaire d’une ménagerie ambulante, qui se rendait à Dresde, était arrivé le même soir, fort tard, dans ce village, avec un éléphant. Il attacha cette bête près de la fenêtre de l’auberge, et alla se rafraîchir dans la salle d’entrée. Nos joyeux convives occupaient le premier étage. Ils mangeaient, buvaient et chantaient. L’âme bienveillante de Haydn s’était mise à la portée de ces bonnes gens. La gaîté la plus franche présidait à ce repas, et le bruit des verres retentissait au loin.
L’éléphant, naturellement attentif, eut probablement la fantaisie de prendre sa part des joies expansives qui se manifestaient au-dessus de sa tête. Il leva son immense trompe, l’appliqua contre la fenêtre, et ouvrit celle-ci sans peine. Cette trompe ne parut pas plutôt à travers l’ouverture, qu’elle manoeuvra à droite et a gauche, à la grande stupéfaction des assistants, renversa bouteilles, assiettes, flambeaux, chaises et tables. La plupart des pauvres campagnards se prosternèrent à terre, à moitié morts de frayeur, à la vue subite de ce gros serpent gris qui se mouvait dans l’air et portait le ravage sur tous les points.
Haydn eut besoin de toute son éloquence pour rassurer ses convives, bien qu’il ne pût pas encore s’expliquer lui-même la cause de ce phénomène. Heureusement le propriétaire de la ménagerie entra, et pria la société d’excuser la trop grande curiosité de son éléphant.
Heugel. Paris, 1834.